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Jodorowsky's Dune

 Avec un titre pareil, essayez donc de convaincre votre blonde de vous accompagner au cinéma... Derrière ce singulier titre, se cache en fait un anti-making-of. Le film de Frank Pavich, qui a bénéficié d'une sortie-éclair dans exactement une salle à Montréal (merci, Cinéma du Parc!), permet de tout savoir sur la création d'un long-métrage qui n'a jamais abouti. 

Ça vous semble ridicule? Au contraire, c'est passionnant.

Attendez donc de suivre cette aventure picaresque, dans lequel on suit un cinéaste excentrique qui fait le tour du monde afin de recruter les meilleurs dans leur domaine artistique respectif dans le but d'adapter au cinéma le livre-univers de Frank Herbert.

Je ne vous en dirai pas plus, je vous laisse découvrir les délicieux et impressionnants détails de production par vous-mêmes, ils sont tous relatés avec énergie et bonheur par Frank Pavich, qui arrive malgré l'échec du film à distiller un sentiment d'espoir et de joie. Un ton étrangement optimiste, qui va parfaitement de pair avec l'attitude d'Alejandro Jodorowsky lui-même, dont les entrevues constituent le cœur de l'affaire.

Ce documentaire possède une foule de qualités, des témoignages révélateurs, un rendu visuel qui met bien en évidence le travail accompli par ces « guerriers spirituels », un rythme endiablé, une trame sonore au synthétiseur délicieusement rétro... mais vous savez ce qui m'a le plus marqué?

La position de Jodorowsky sur l'art et la vie.

On peut respecter ou pas ses travaux (le type semble avoir tout fait, du cinéma, de la bande dessinée et même des jeux de tarot), on peut le trouver irritant ou génial, mais on ne peut qu'admirer la façon dont il a pris la « carte blanche » donnée par le producteur Michel Seydoux à la lettre. 
C'est bien simple, l'homme ne voulait pas faire un bon film, ni même le meilleur film de science-fiction...

Il ne cherchait pas à faire le « meilleur » film de tous les temps.

Il voulait faire LE film ultime. LE film qui transcenderait le média, le genre et même le public. Son Dune prenait comme base le livre de Frank Herbert, le passait à la moulinette, proposait un aspect visuel et auditif d'une telle virtuosité, d'un tel génie pur que l'expérience aurait été été « sacrée » pour le spectateur. Jodorowsky avait décidé d'utiliser tous les outils du septième art pour faire un film qui changerait la perception et la mentalité de toute une génération.

On est loin d'un Brett Ratner qui se contente de tenir une caméra et de vendre du popcorn.

Le projet du cinéaste chilien était d'une folie, d'une démesure qui coupe encore le souffle plus de trente ans après son échec. On peut bien sûr douter de la concrétisation d'un tel projet. Même si l'entièreté du story-board avait été complété, que les problèmes logistiques liés aux effets spéciaux étaient résolus et que les grands noms (et quand on dit grands noms, on n'exagère pas) avaient tous acceptés de faire partie du casting, on se demande quel accueil en salles aurait eu ce drôle d'objet fantastico-mystique d'une durée qui aurait pu se situer entre douze et vingt heures (!) de long.

Entre vous et moi, ce n'est même pas important. Peut-être que le Dune de Jodorowsky se serait planté. Peut-être que le film aurait été incompréhensible, qu'il aurait été retiré des salles après deux semaines d'exploitation. Peut-être que visuellement les effets spéciaux n'auraient pas été à la hauteur des idées, et qu'on aurait eu l'impression de regarder un interminable Barbarella confus et prétentieux.

Mais, et c'est là toute l'âme du documentaire de Frank Pavich, Alejandro Jodorowsky n'a jamais envisagé l'échec. Il a eu une opportunité en or, et il n'a pas simplement visé haut, il a visé le ciel.

Il y a quelque chose de beau, de magnifique même dans cette ambition grandiose. Voilà un artiste qui s'affranchit de toutes ses limites, qui demeure furieusement fidèle à ses idées premières et qui refuse la moindre concession.

On a l'habitude de voir l'ambition comme un signe d'orgueil. Pourtant, à aucun moment Jodorowsky n'apparaît ici comme un être vaniteux. Il est quelqu'un de caractériel, c'est indéniable, mais il est surtout sincère, non seulement envers les autres mais envers lui-même. À ce stade, il ne voyait plus Dune comme un simple film mais comme un événement planétaire, une façon de rejoindre les esprits et d'élargir leur horizon. Je trouve que le simple fait d'avoir envisagé d'une telle façon un long-métrage est absolument impressionnant, en plus d'être rafraîchissant et inspirant. Il est vrai que le cinéma est un art lourd, asservi à la fois aux contraintes technologiques et commerciales. Au contraire, Jodorowsky ne l'a jamais vu ainsi. Il voulait s'approprier un mass-media, pulvériser les habituelles conventions commerciales et l'emmener vers un autre niveau.

À ce que je sache, personne n'est passé aussi près d'y arriver.

C'est cet aspect qui m'a profondément troublé, marqué et qui me fait rêver bien après que je sois sorti de la salle. Le processus de création artistique et, de façon plus générale, chaque décision que nous prenons dans la vie ne devrait jamais tenir compte des contraintes externes, des attentes ou des limites que nous croyons percevoir.

L'échec a-t-il anéanti l'équipe derrière le Dune de Jodorowsky?

Eh bien disons que Jodorowsky s'est tourné vers la bande dessinée L'Incal en y injectant une bonne partie de ses idées non utilisées. L'Incal a obtenu un succès planétaire et a influencé toute une génération de jeunes auteurs, incluant des auteurs de comic-books américains qui ont décidé à leur tour de briser certaines conventions. Le reste de l'équipe, débutant au cinéma mais stimulé par le projet de Dune, a travaillé sur Alien, un petit film de science-fiction qui a lancé la carrière de Ridley Scott, terrifié le public et qui a changé le visage du cinéma de genre durant les décennies suivantes. L'influence de ce Dune avorté demeure marquante, encore aujourd'hui.

Un bilan plus qu'honorable pour un film qui n'a jamais vu le jour.

 Je vous recommande chaudement Jodorowsky's Dune. Vous ne trouverez pas au cinéma une plus belle fable morale, un conte plus énergisant et galvanisant cette année. Vous sortirez de ce visionnement légèrement changé, un petit peu moins terrifié par les obstacles de la vie.

 Encore une preuve, pour tous les sceptiques, que ce projet complètement fou aurait peut-être pu fonctionner...

Par Gilles le 2014-06-11

   

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